Il ne s'est rien passé chez Rodolphe Saadé
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Il ne s'est rien passé chez Rodolphe Saadé

Tout va bien. Il ne s'est rien passé à La Provence. Le rédacteur en chef Aurélien Viers, suspendu après une Une macro-sceptique mal interprétée (elle épousait en réalité le point de vue des honnêtes gens, et non des dealers), a été décroché de sa suspension. Désuspendu, pourrait-on dire. L'entretien préalable auquel il était convoqué vendredi prochain, et pouvant déboucher sur un licenciement, selon la terminologie juridique, a été annulé. Du coup, la grève illimitée de La Provence, votée à une large majorité, n'aura duré que 24 heures. D'ailleurs, aucun licenciement n'était envisagé. "Un entretien préalable peut mener à d’autres issues, comme un avertissement", assure au Figaro Jean-Christophe Tortora, directeur de Whynotmédias, l'entité qui regroupe les médias Saadé. Quant au PDG Rodolphe Saadé, il n'est pas intervenu dans l'affaire, d'aucune manière. "Rodolphe Saadé dirige un groupe de 170.000 salariés, rappelle Tortora. Lorsque nous échangeons, il me parle de croissance externe, des besoins en termes de recrutements, des enjeux à venir sur BFM et RMC. Il s’exprime en tant qu’industriel, pas comme un rédacteur en chef qui réclamerait un article ou manifesterait son mécontentement à propos d’une une !"

De ces jours où sembla fondre sur le groupe une terreur bolloréenne, ne subsiste aucune trace. Ou presque : il est permis d'en voir une trace dans le remarquable silence sur l'événement de La Tribune dimanche, autre journal Saadé, avant-hier, au coeur de la crise. Pas un mot, pas une allusion. Le correspondant du Monde à Marseille, Gilles Rof, devait donc rêver quand il a évoqué des échanges par texto entre un député Renaissance et Darmanin et Macron. Tous les salariés de BFM qui, les jours précédents, avaient entendu Saadé avouer qu'il "réagirait mal" si ses médias disaient du mal de ses affaires ont dû rêver aussi. Peut-être même Saadé rêvait-il  lui-même ? D'ailleurs, Rodolphe Saadé existe-t-il ?

Plusieurs heures durant, comme je l'expliquais ici, s'est imposé dans les esprits (dans le mien, en tous cas) un troublant parallélisme entre la terreur Bolloré et la terreur Saadé. Une touchante similitude des milliardaires à imposer une ligne politique par la terreur du licenciement. Pas d'accord ? Tu dégages. Avec un chèque en échange de ton silence.

J'ai parlé de "point de bascule" vers l'illibéralisme. On me l'a gentiment reproché, dans le forum et sur les réseaux, sur le mode "ouvre les yeux, on a basculé depuis longtemps !" C'est vrai dans plusieurs domaines. Sur la surconsommation du 49.3, sur les violences policières, sur les atteintes au droit de manifester casserole à la main, la macronie a franchi depuis longtemps le "point de bascule" vers l'illibéralisme. Ce n'était pas encore vrai sur la liberté de la presse. 

Sur cette liberté-là, le "point de bascule" pourrait passer par la frontière entre le "ferme ta gueule" (illibéralisme) et le "cause toujours" (libéralisme). D'un côté, pressions, censure, licenciements, terreur. De l'autre côté, liberté totale de faire et de dire, mais étouffement des discours dissonants et dissidents sous l'amoncèlement des futilités et de la com', jusqu'à rendre l'essentiel inaudible. Vous me direz que le résultat est le même pour l'information des citoyen.ne.s. Certes. Mais pas la méthode. C'est important, la méthode, pour les journalistes licenciés, et les dissidents emprisonnés ou persécutés.

Ici, sur ce site, nous avons tendance à envisager les idées et les idéologies sous l'angle des pratiques des médias qui les défendent. C'est notre angle, notre tropisme, notre raison d'être. En l'occurrence, il est souvent pertinent. Ce duel des monstres, entre groupe Bolloré et groupe Saadé, BFM contre CNews, Tribune-dimanche contre JDD, recoupe la cartographie du vaste open space qui va du "centre droit" macro-attaliste à l'extrême-droite bardello-lepéniste, et où circulent librement, et se croisent à la cafète, les chef.fe.s qui assument, les idées sans tabous, et les propositions transgressives, débat qui semble résumer à lui tout seul la proposition politique du moment, dans le silence d'une gauche éparpillée. A un pôle autoritaire souverainiste, pro-russe, catho tradi, anti-IVG, et anti-immigration s'oppose un pôle autoritaire pro-Europe, pro-libre échange,-pro-euthanasie, pro-IVG,... et anti-immigration. Un instant,  le second a semblé basculer du "cause toujours" vers le "ferme ta gueule". Saadé a reculé au dernier moment, différence notable d'avec Bolloré. Pour combien de temps ?


Le blog Obsessions est publié sous la seule responsabilité de Daniel Schneidermann, sans relecture préalable de la rédaction en chef d'Arrêt sur images.

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